Le temple maçonnique d’Épinal

Déclaration de la nouvelle loge

À l’automne 1862, en plein revival maçonnique, des francs-maçons du Grand Orient de France fondent à Épinal une loge sous le titre distinctif La Fraternité vosgienne, à l’aune de ce qui se passe à Neufchâteau, Remiremont, Saint-Dié et Mirecourt. Durant les premières années, les frères spinaliens se réunissent dans un bâtiment loué faubourg Saint-Antoine, à proximité de l’hôpital Saint-Maurice. La mise en vente de l’édifice par son propriétaire les obligeant à trouver un nouveau local, ils constituent une société civile qui achète, au 7 avenue de Provence, un jardin situé sur une promenade publique. Commencés en octobre 1868, les bâtiments sont achevés en 1869. Dans un courrier au Grand Orient de France, le vénérable de La Fraternité vosgienne décrit le nouvel édifice : « Ce bâtiment comprend au rez-de-chaussée une vaste salle de banquet et le temple au premier étage. Sur la voie publique existent deux pavillons séparés du bâtiment principal par un jardin d’agrément ou square : l’un de ces pavillons est destiné au logement du concierge et l’autre aux réunions du conseil. Toutes les précautions ont été prises pour que les travaux maçonniques ne soient point troublés et que les batteries des divers grades ne puissent être entendues au dehors ».

On ignore le nom de l’architecte, mais on peut penser à Lucien Mougenot, par ailleurs membre de la loge, ou bien à Henri Fachot qui, à la même époque, débute la construction de la synagogue de Remiremont dont le style orientalisant – très en vogue dans l’Est de la France, mais rare à Épinal – se lit dans le traitement des ouvertures latérales de la façade du temple spinalien : arcs outrepassés des portes et arcs en accolade surbaissés des fenêtres, jambages aux formes arrondies. À cette sensibilité néo-mauresque sont associées d’autres influences, ainsi la frise dentelée et les palmettes qui décorent les arcs outrepassés, ces dernières faisant singulièrement penser à l’architecture grecque classique.

En son centre, le mur de la façade est percé d’une fenêtre au linteau triangulaire au rez-de-chaussée et, en haut, d’une rosace au centre de laquelle trône un delta lumineux. Il est séparé des ouvertures latérales par deux fins pilastres décorés dans leur partie supérieure d’une étoiles à six branches ornée d’une fleur. Dominant le sommet de l’édifice, un médaillon portant une équerre et un compas croisés était cerclé de lames métalliques ondulées, évocation des rais du soleil et de l’épée flamboyante du vénérable. C’est donc un programme décoratif très éclectique qui a été choisi, courant en cette seconde moitié du XIXe siècle et parfaitement en phase avec le message universaliste qu’entendent propager les francs-maçons.

L’édifice actuel a globalement conservé son aspect original, mais il a subi plusieurs dégradations, la première dès la guerre de 1870. Peu de temps après son inauguration, il est ainsi transformé en ambulance puis, après l’entrée des Prussiens dans la ville, vidé de ses archives et de sa bibliothèque. L’autre dégradation, plus conséquente, date de la Seconde Guerre mondiale lorsque les autorités françaises mettent en application la loi du 13 août 1940 sur les sociétés secrètes. Le journal collaborationniste local, L’Express de l’Est, rapporte : « Naturellement, dans la Loge de la rue de Provence, dont le soleil ne brille plus, on ne trouva que quelques brochures, en fait de « documents ». Un compte d’environ 3 000 francs fut également saisi ; on sait, d’autre part, que les biens immobiliers des Frères doivent être vendus au profit des Bureaux de bienfaisance. Voilà qui ne causera pas un grand dommage à cette néfaste association, dont les membres s’ingénient maintenant à passer inaperçus ». Outre la saisie ou la vente des archives, des livres et du mobilier, le bâtiment voit sa vocation et son aspect modifiés. L’immeuble n’est pas vendu par les Domaines, mais il est loué au Secours national, la grande œuvre caritative pétainiste. Dès décembre 1940, on lit dans la presse qu’« il existe à Épinal, rue de Provence, une salle destinée à recevoir les personnes sans ressources, dépourvues de tous moyens de chauffage. L’ancienne Loge maçonnique spinalienne a été aménagée en salle d’accueil. […] On peut y recevoir une centaine de personnes ». Le mois suivant, on projette d’y installer un ouvroir pour les nécessiteux. On adapte le bâtiment en perçant une vaste baie dans la façade, à l’aplomb de la rosace, et, afin de lui donner un caractère profane, le compas et l’équerre qui ornent le médaillon sommital sont martelés.

Les francs-maçons spinaliens récupèrent leur local en avril 1946 dans un état désastreux tout en étant dans l’incapacité financière de le faire réparer, la guerre ayant fait perdre à l’atelier les deux tiers de ses membres. Les travaux s’éterniseront. Pendant plus de trois ans, les tenues ont lieu au domicile du vénérable et lorsque les frères réintègrent la rue de Provence, les réparations ne sont pas achevées et la vente au Grand Orient de France envisagée. Grâce à de nombreux dons d’autres loges et à un prêt de l’obédience, la remise en état aboutit péniblement en 1955.

Au milieu des années 1980, dans un état de délabrement croissant alors que d’autre loges s’établissent à Épinal, l’édifice est de plus en plus inadapté pour accueillir des réunions. En 1989, il est décidé d’acheter un immeuble rue de la Cense Figaine, à la Vierge, pour y établir un nouveau temple, mais, face aux difficultés financières et aux désaccords, le projet est abandonné trois ans plus tard et la réhabilitation du vieux bâtiment actée. Au printemps 1996 prend fin un chantier qui a permis de transformer la totalité des espaces intérieurs, de fermer, sur la façade, la baie ouverte durant l’Occupation, de transformer le logement de l’ancien concierge en bibliothèque.

C’est de cette époque que date l’actuel temple maçonnique proprement dit, celui qui se situe au premier étage, le rez-de-chaussée étant réservé aux agapes, c’est-à-dire au repas qui suit chaque tenue. La scénographie mise en œuvre n’est pas propre à Épinal ; elle est commune, avec quelques variantes, à l’ensemble des loges, quels que soient le lieu et l’époque. Autrement dit, un Anglais du XVIIIe siècle n’y serait pas totalement perdu ! On entre dans le temple par l’Ouest, en passant entre les deux colonnes du temple de Salomon. En face, à l’Orient, siège le vénérable, sous le delta lumineux, assisté du secrétaire et de l’orateur. Entre ces deux pôles s’étend la voûte étoilée qui, symboliquement, confronte l’Homme à la dimension infinie du cosmos alors que le fil à plomb l’invite à l’introspection. Les francs-maçons participent à la tenue sous cette voûte, en face-à-face, au rythme des coups de maillet du vénérable et des deux surveillants. Notons que le ciel étoilé reconstitué est celui que les Spinaliens pouvaient voir au solstice d’été 1723, année de rédaction des Constitutions d’Anderson, le texte fondateur de la franc-maçonnerie.Les derniers aménagements datent de 2012 avec la construction d’une galerie couverte entre le temple et la bibliothèque. Toujours propriété de La Fraternité vosgienne, le temple accueille aujourd’hui les tenues de deux autres loges du Grand Orient de France (Prométhée et Ensemble) ainsi que celles de cinq ateliers rattachés à la Grande Loge de France (Europa Libera), au Droit Humain (Jean Macé et Courage et Vérité), à la Grande Loge Féminine de France (Democratia) et à la Grande Loge de l’Alliance Maçonnique Française (Jean-Charles Pellerin).

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