La genèse du film

Dès juillet 1941, Jacques de Boistel, de retour d’Allemagne, est chargé par Bernard Faÿ de réunir les éléments d’un film de propagande anti-maçonnique. Jean Marquès-Rivière rédige le scénario : « Ce film, je l’ai voulu précis et très dur, dira-t-il. Il fallait montrer aux foules de cinéma – vous savez tous ce que représente une foule de cinéma, le samedi soir… – pendant trente minutes le problème maçonnique… ».

Le film est réalisé par Jean Mamy, sous le pseudonyme de Paul Roche. Mais, si Marquès-Rivière a quitté la Maçonnerie bien avant 1939, Jean Mamy était encore en 1940 le vénérable de la Loge Ernest Renan, et c’est lui que, dans une de ses interventions au convent de 1945, le F.·. Villard qualifia de « premier traître de chez nous ».

Le 9 septembre 1942, le premier tour de manivelle est donné dans les studios de Nova-Film à Courbevoie. Des séquences sont tournées au Palais-Bourbon (les Allemands délivreront un Ausweiss à cet effet) et dans les Temples du Grand Orient. Le numéro 57 de la revue Cinémondial retrace pour ses lecteurs le brillant cocktail qui réunit de nombreuses personnalités parisiennes rue Cadet, pour fêter les premières prises de vues.

Le 15 octobre, dans Les Documents maçonniques, Jean Marquès-Rivière écrit :  « Comme auteur du scénario, je tiens à présenter ce film qui traite de la Franc-Maçonnerie. J’ai voulu d’abord, par ce film, continuer la propagande antimaçonnique que font, chacun dans leur secteur, mes camarades de l’équipe à laquelle j’ai l’honneur d’appartenir. A une heure où les prudents cherchent le vent, où les habiles préparent de futurs reniements, à une heure où le F.·. Marchandeau, l’auteur du fameux décret de mai 1939, ce décret qui interdisait de prononcer ou d’écrire le mot juif, peut encore paraître à la tête des maires de France sans être hué, il paraît singulièrement urgent de dire tout haut ce que personne n’ose prononcer et de dénoncer clairement le mal dont meurt la France. A force d’être secrète, la Franc-Maçonnerie a disparu déjà de la mémoire de nos concitoyens, ces “Français qui ont la mémoire courte” et sa nocivité est en proportion de cette occultation. C’est pourquoi, par notre revue, par nos conférences, par nos tracts, par le film, nous ne cesserons de jeter le cri d’alarme.

J’entends bien les indignations :union des Français, bonne volonté commune, respect des valeurs spirituelles, absolution du passé, reconstruction socialiste du pays… et nous sommes les attardés, les réactionnaires odieux, les gêneurs du renouveau français. Sur cela, nous nous sommes expliqués et nous nous expliquerons encore : qu’il me suffise de dire ici que, pour nous, ces mots ont une sonorité qui date d’avant 1940, mais que nous les voulons purs et vrais et non point au titre de commodes paravents; nous nous refusons de jouer avec des dés pipés. Reconstruction de la France ? Oui, mais sans le IV° pouvoir occulte des Loges. Union des Français ? Oui, mais sans l’existence secrète des “initiés” auxquels tout est permis et des “profanes” qui n’ont qu’à payer et qu’à applaudir. Absolution du passé ? Oui, si les FF.·. redeviennent sincèrement des Français du Maréchal, des Français pour le servir et l’aider et non point pour le trahir.

Ce film, je l’ai voulu précis et dur ; il fallait montrer aux foules de cinéma – vous savez tous ce que représente une foule de cinéma, le samedi soir… – pendant trente minutes, le problème maçonnique. Pour voir la question, pour la transformer en images sonores, j’ai songé à ce qui était lié très particulièrement avec la Maçonnerie : le Parlementarisme. C’est l’histoire d’un jeune député dont le talent inquiète “Les Forces occultes” qui dirigent la France ; le Grand Orient lui offre l’initiation maçonnique et lui promet une aide puissante ; mais il ne veut pas jouer le jeu malpropre qu’on lui propose et il clame son indignation et son mépris. La vengeance maçonnique l’attend ; de son lit d’hôpital, il verra partir ses camarades vers cette “drôle de guerre” qu’il a tant redoutée et dont il s’est expliqué si rudement dans une séance maçonnique fameuse. Et je remercie encore ici mon camarade Maurice Rémy du personnage émouvant qu’il a su créer dans ce film.

Palais-Bourbon, temple maçonnique, diptyque inséparable quand on veut représenter la France d’avant 1940; c’est cette atmosphère lourde et trouble que j’ai voulu évoquer dans “Forces Occultes”, afin de faire comprendre aux Français de 1942 de quel cauchemar ils sortent et où certains inconscients voudraient les faire revenir. C’est le dévoilement de l’action puissante et néfaste des Loges maçonniques, c’est la révélation du rituel des tenues et des initiations, ce “grand secret” maçonnique, dans son déroulement le plus exact et le plus grotesque. Si l’esprit critique et le sens du ridicule n’ont pas complètement abandonné les Français, ce film doit les éclairer et aider les campagnes que nous menons dans cette revue. Il est vrai que n’est pire sourd que celui qui ne veut point entendre”.

Le 6 mars 1943, Le Film, organe de l’industrie cinématographique française, revue bimensuelle, annonce dans son numéro 60 la prochaine sortie du film : “La Société Nova-Film dont l’animateur est Robert Muzard, qui produisit les Corrupteurs et la série Monsieur Girouette, vient de retenir le Cinéma des Champs-Élysées pour y projeter sa nouvelle production…” (le Cinéma des Champs-Élysées est une salle “aryanisée”).

Le 9 mars, le film Forces occultes est présenté au public parisien. Cette première projection est une séance privée. Les théâtres cinématographiques restent à cette époque fermés le mardi et ce jour est réservé à la vérification et au retour des copies. « Il s’agissait là d’un événement que tout le monde attendait avec impatience et, à en juger par l’enthousiasme des spectateurs, personne n’a été déçu », commentent les Documents maçonniques qui font le récit détaillé de la séance. Moyen métrage de 1.200 mètres d’une durée de 43 minutes, ce « document de vulgarisation sur une question d’intérêt national » est projeté pour la première fois en présence de l’ambassadeur Fernand de Brinon. « Monsieur l’Ambassadeur, Mesdames, Messieurs, mes chers camarades, j’ai l’honneur, déclame du haut de la scène, J. Marquès-Rivière,de vous présenter le film anti-maçon Forces occultes que j’ai fait en collaboration avec le metteur en scène Paul Riche et qui a été réalisé par le courageux directeur de Nova-Films M. Muzard. Ce film veut être un acte politique. Il veut être aussi un acte révolutionnaire. Dans le silence de l’agonie de la France, il veut être enfin un cri d’alarme. Je sais que ce cri n’est pas unique : je sais les efforts désespérés du petit nombre qui ne veut pas la disparition de notre pays dans un effacement rageur et stérile. C’est un cri de plus pour secouer le bon sens populaire qui a toujours pensé qu’un crime capital méritait une peine capitale. (…) Crime capital, ai-je dit. Il est pitoyable que la mémoire courte des Français leur ait déjà fait oublier les causes. profondes de la situation présente (…) Un malaise subsiste, de tous côtés des forces occultes freinent les volontés de renouvellement et stérilisent les efforts révolutionnaires. Un sabotage systématique de ce qui est le vouloir du maréchal a été organisé. A chaque pas en avant, de puissantes et mystérieuses mains défaisaient le travail accompli, et lorsque nous nous retournons sur deux ans de travail, nous ne pouvons que constater une incurie désolante et inquiétante, une suite d’occasions manquées et de temps perdu. Voilà pourquoi, j’ai voulu que ce film fût âpre et dur… »

L’utilisation méthodique d’un éclairage expressionniste rend compte du sens dramatique des scènes et met en évidence « l’atmosphère lourde et trouble des Loges et les éléments mystérieux et angoissants du décor ». Une oppressante inquiétude étreint le spectateur dès la première séquence. L’ombre d’une redoutable araignée grossit d’instant en instant et plane sur l’écran au rythme d’une musique tragique. L’araignée règne soudain sur la scène, sur son dos s’inscrivent l’équerre et le compas entrecroisés. Le plan suivant reproduit la carte des zones d’influence américaine, soviétique, britannique. Progressivement, sur le planisphère se surajoutent, identiques, les zones d’influence judéo-maçonnique. Le planisphère, tel un rideau de théâtre, fait place à une séance houleuse au Parlement. Un jeune député proclame son mécontentement. Conciliabules; et Pierre Avenel, circonvenu, pénètre dans un temple où est disposé le portrait de Roosevelt. Longue scène d’initiation. « Et ce fut pour Avenel le terrible engrenage des compromissions et des complaisances maçonniques auquel il tenta désespérément d’échapper ». Première carte de visite remise par Isaac – Levy – Stein… Premiers scandales Pathé-Nathan, 600 millions pris aux petits actionnaires… Suit une liste détaillée des scandales de la III° République et des Maçons compromis. Avenel se révolte enfin, quand il comprend que « la Franc-maçonnerie veut la guerre », que « la Franc-maçonnerie pousse la France à la débâcle ». Mais les Frères veillent. Un entrefilet annonce : « Un attentat bizarre. Affaire de mœurs ou de stupéfiants ? Le jeune député Avenel, qui depuis quelque temps donnait des signes de dérangement cérébral, a été trouvé inanimé dans un jardin de banlieue. On se rappelle ses interventions inopportunes à la Chambre. Il semble, d’après les renseignements recueillis dans son entourage, que Monsieur Avenel fréquentait certains milieux particulièrement louches ». Images d’actualités. La mobilisation générale. Pierre Avenel assiste de son lit au départ des troupes. Dernière scène, le globe terrestre en feu, derrière un Franc-maçon satanique qui étend ses mains vers l’astre flamboyant… « Cette guerre qui est la nôtre doit aboutir au triomphe de notre ordre sur le monde gouverné par nos méthodes et nos idées… »

Le mécanisme de la propagande est expliqué par F. Chevassu, dans Image et son, en novembre 1965. Il observe cinq étapes :

• 1. Réaction affective, la défaite.

• 2. Fait vrai en soi : la France n’était pas préparée pour la guerre.

• 3. Projection du spectateur sur un personnage : Pierre Avenel, honnête, ardent patriote et qui refusait cette guerre honteuse.

• 4. Ce personnage, donc le spectateur, victime des boucs émissaires.

• 5. Condamnation instinctive des boucs émissaires.

La structure du film consiste en la réception longuement détaillée d’un profane au grade d’apprenti, cérémonie initiatique conforme, indique-t-on, aux rites en usage avant la guerre dans quelques loges françaises. « Peu importent les gémissements rituelliques de certains qui jouèrent le scandale pour donner le change, déclare J. Marquès-Rivière lors de la présentation. Je voudrais justement que ce scandale, si scandale il y a, crevât l’abcès qui infecte notre pays; je voudrais que les colères qu’il déchaînera fissent tomber enfin les faux visages, démasquant les réactionnaires de l’ancien régime ».

A l’anti-maçonnisme, écrit Dominique Rossignol, se superposent :
– l’anti-républicanisme et l’anti-parlementarisme. Désordre et corruption des parlementaires de la III° République.
– l’anti-bolchevisme. Assimilation des députés maçons aux députés socialistes et communistes qui siègent à leurs côtés (dans un amalgame aussi imprécis que passionné).
– l’anglophobie et l’anti-américanisme. Carte et portrait de Roosevelt.
– l’antisémitisme. Les Francs-maçons favorisent les intérêts judaïques. Les deux triangles inversés du sceau de Salomon brillent à côté de l’équerre et du compas entre croisés.
– l’anti-internationalisme. Opposition entre les intérêts de la patrie, la France, et ceux du monde. Le film débute avec l’image du planisphère et s’achève sur celle du globe terrestre. La juxtaposition suggère l’internationalisme de l’emprise judéo-maçonnique, contraire aux intérêts nationaux. La Franc-maçonnerie est aussi maîtresse des relations internationales, puisqu’elle décide de la guerre.

Le jeune patriote n’a pas sa place dans une société manipulée et… criminelle. A la quête des “responsables”, les réalisateurs de Forces occultes prônent aussi un nécessaire et salubre renouveau national (aucune allusion à Pétain). « Il faut reconnaître, poursuit Jean Marquès-Rivière devant l’auditoire attentif du cinéma des Champs-Élysées, qu’il y a, à l’heure présente, un pouvoir plus fort que le pouvoir du maréchal, chef de l’État… La révolution nationale est trahie du haut en bas… Cette révolution nationale avait une politique qui a été sabotée : elle se définissait par une politique de collaboration sur le plan externe, par une politique d’épuration et de renouvellement profond des coeurs et des esprits sur le plan intérieur. (…) La consigne a été d’attendre. Des comédies ont été jouées et continuent à l’être… On a vu et l’on voit encore dans l’administration d’incroyables exemples de favoritismes maçonniques… On a vu et l’on voit encore des favoritismes maçonniques… On a vu et l’on voit encore des Maçons faux déclarants réintégrés… Nous rejoignons enfin la collusion maçonnique et bolchevique; il y a toujours un Maçon pour faire le lit du communisme… Il est question de rassembler des révolutionnaires, conclut-il, de créer des milices combattantes, faisceaux de belles énergies rassemblées dans une pure volonté… Chez nous, il y a aussi une prochaine bataille qui se prépare, une vraie et dure bataille. La Juiverie et la Maçonnerie sont les bastions avancés de la démocratie anglo-saxonne… Puisse ce film, qui est un film de combat, rassembler les énergies encore hésitantes pour les dures et décisives batailles de demain… »

L’opposition entre Vichy et Paris est manifeste. L’allocution de Marquès-Rivière que répercutent Les Documents maçonniques se veut un véritable « cri d’alarme » : « Qui,professe-t-il, fausse les répartitions du ravitaillement, stocke, stupidement les denrées périssables, affame les milieux ouvriers et favorise ainsi le marché noir ? Le Maçon. Qui critique les actes du gouvernement du maréchal, dénature ses gestes, affaiblit sa volonté ? Le Maçon. Qui prépare sourdement les révoltes intérieures, prémices certaines de la bolchevisation future de la France ? Le Maçon. Qui est au premier rang des organisations gaullistes et giraudistes, qui fait la liaison avec les centres communistes, qui a préparé la livraison pitoyable de notre Empire, qui complote contre tous les redressements de la France, qui forme les centres actifs et virulents des trahisons et des défections futures ? Le Maçon, encore le Maçon, toujours le Maçon ! ».

Le 15 avril, la revue Les Documents maçonniques souhaite au film une belle et longue carrière et reproduit dans ses colonnes de nombreux extraits de presse :

  • « Pour la première fois de son histoire, selon le Matin, la maçonnerie subit la dissection publique, la divulgation, la dispersion brutale de ses oripeaux, de ses appétits, de ses fantoches… Forces occultes, bain de vérité, est un acte courageux et salubre ».
  • « Drame où se mêlent la vérité historique et le mystère !… », consigne Vedette.
  • « Techniquement, un film … parfait…, servi par d’excellents interprètes… », commente l’Oeuvre.
  • « Documentaire précis, attachant, qui sait ménager le mystère, Forces occultes est une anecdote calquée sur tous ces crimes maçonniques demeurés chaque fois impunis… Les scènes essentielles, minutieusement reconstituées, respirent la vérité.. », consigne le Petit Parisien.
  • Pour le Cri du Peuple, de Jacques Doriot, c’est « un gros succès… une très utile propagande ».
  • L’Union française affirme : « … Un beau film qui fera réfléchir le spectateur… »

Distribué par les “Films A. Lauzun”, dans toutes la zone nord, précédé d’un sketch avec Fernandel, Restez dîner, tourné en 1933, le film, selon les publicistes, bat tous les records de recettes en exclusivité au Cinéma des Champs-Élysées :

  • – première semaine : 217.245 francs, record battu,
  • – deuxième semaine : 299.167 francs, record battu, etc.

Le 8 février 1944, la première projection en zone sud se déroule au cinéma L’A.B.C., de Vichy. Les représentants du gouvernement assistent à cette séance privée, sous les auspices du service de propagande de la Milice.

Le 26 mai 1946, le Grand Orient projette Forces occultes devant une assemblée de Maçons et publie peu après le compte rendu du débat qui s’ensuit. Le Grand Maître, Francis Viaud, confie à cette occasion qu’il est allé voir ce film « dont très peu de directeurs de salles obscures voulaient, car il fut très vite catalogué comme appartenant plutôt à l’espèce végétale, celle des navets, dans son quartier de la porte Saint-Martin, où le public était, dans l’ensemble, assez docile, et prenait volontiers sa “ration de cinéma” sans trop d’exigence ». Après la projection, Francis Viaud prend la parole pour exposer ce qui lui paraît excessif et par conséquent raté, tant dans les intentions de l’auteur que dans sa réalisation. Ces réflexions débordent le cadre du film : « La cérémonie tout d’abord est un tant soit peu exagérée, car nous ne nous présentons plus, explique-t-il, dans l’appareil un peu sommaire qui était celui du profane Avenel… De toute évidence, continue-t-il, le profane Avenel cherche tout de même quelque chose, il cherche un idéal… Et de fait, quand un profane vient frapper à la porte de nos temples, il veut trouver chez nous l’explication – qu’il ne trouvera d’ailleurs jamais complètement – de sa destinée et de celle du monde. (…) On a accusé successivement notre Ordre d’être pacifiste et belliciste. Dans le film Forces occultes, c’est le reproche de bellicisme qui était de circonstance et orchestré… Nous pourrions puiser dans l’arsenal des noms illustres de la Franc-maçonnerie pour répondre sans vaines discussions aux calomnies d’anti-patriotisme de la Maçonnerie… Il est curieux aussi de noter que le film Forces occultes nous reproche de vouloir abattre l’Allemagne, alors que les mêmes hommes…, la clique Pétain, Xavier Vallat et consorts, nous reprochaient, après 1918, notre action tendant à un rapprochement entre les peuples… »

( Voir le film )

Retour en haut